Après 70 ans de silence,
des
enregistrements
secrets font revivre
la signature de l'armistice
de
1940
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Par Marion Bothorel – France Télévisions
Mis à jour le – publié le
Dans le documentaire "1940, les secrets de l'armistice", des enregistrements sonores inédits des négociations entre la France et l'Allemagne témoignent de l'inflexibilité des nazis qui malmènent les représentants Français. Ces documents oubliés ressurgissent mais leur histoire reste mystérieuse.
"Je tiens à vous dire qu'il y a certaines conditions que nous n'accepterons pas quoi qu'il arrive." La voix mal assurée du général Charles Huntziger traduit le malaise de la délégation française, ce 22 juin 1940, dans la clairière de Rethondes, à l'heure de signer le document entérinant la défaite de la France tendu par le représentant du Troisième Reich. Un moment d'histoire gravé dans un enregistrement sonore secret, dont le contenu est révélé pour la première fois dans le deuxième volet du documentaire 1940, les secrets de l'armistice, diffusé dimanche 3 février à 22h40 sur France 5.
Des disques longtemps restés cachés dans les recoins de l'histoire et à la trajectoire rocambolesque. Réapparaissant soixante-quinze ans après les faits, grâce à l'homme d'affaires et collectionneur français Bruno Ledoux, qui les a retrouvés en 2015 lors d'une vente aux enchères en Allemagne, ces enregistrements comportent encore bien des mystères.
Face aux six heures d'extraits audios répartis sur 45 disques, l'équipe du documentaire 1940, les secrets de l'armistice a dû couper et faire des choix pour rendre compte de l'atmosphère qui régnait dans le wagon où eurent lieu les deux jours de négociations entre Allemands et Français. Les silences, les hésitations, les requêtes, les menaces, les moindres bruits éclairent les historiens sur l'état d'esprit et les conditions de négociation de la convention d'armistice. "Ça redonne une vie à ce moment terrible pour les Français, où les Allemands tiennent leur victoire", explique le réalisateur, Emmanuel Amara. Ce dernier a reconstitué l'atmosphère tragique du moment où les négociateurs français ont cédé face à Hitler.
Huis clos sur écoute
Il existait déjà des images de cet épisode. Les caméras allemandes ont capturé l'effroi des négociateurs français, forcés d'accepter leur défaite dans la clairière de Rethondes, en pleine forêt de Compiègne, le lieu même où l'armistice de la Première Guerre mondiale a été signé, le 11 novembre 1918. Des caméras avaient bien capté l'événement mais, en 1940, elles n'étaient pas en capacité d'enregistrer du son. Pour disposer du plus grand nombre d'archives, Hitler avait fait cacher, avant l'arrivée des Français, des micros dans le wagon autour de la table où allaient se tenir les négociations.
Le chancelier allemand est présent lorsque l'enregistrement est lancé. Sans dire un mot, il assiste à la lecture du préambule, qui attribue avec véhémence la responsabilité des deux guerres mondiales aux Anglais et aux Français. Résonne alors un dramatique "La France est vaincue". Lorsque les exemplaires des conventions d'armistice sont remis aux Français, Hitler quitte le wagon, toujours en silence. A ce moment, dans les enregistrements, on entend des militaires allemands jouer l'hymne germanique à l'extérieur.
En face, les membres de la délégation française – les généraux Parisot et Bergeret, le vice-amiral Le Luc, l'ambassadeur Léon Noël et le chef de la délégation, le général Charles Huntziger – sont loin de se douter qu'ils sont enregistrés : "A l'époque, il n'y avait pas de capacité technique, ce sont les premiers enregistrements sur bandes, on ne pouvait pas imaginer que ça puisse se faire", assure à franceinfo Xavier Aiolfi, expert en souvenirs historiques et militaires du XXe siècle. Ces bandes magnétiques et les enregistreurs viennent tout juste d'être mis au point par une société allemande. Dissimulé dans le bois aux alentours de la clairière, le PC technique écoute attentivement toutes les négociations.
L'armistice est signée le 22 juin à 18h50 par les deux parties. L'administration de Pétain est désormais tenue de "collaborer" pour le maintien de l'ordre, d'"assurer les intérêts de la puissance occupante" et de livrer sur demande les ressortissants allemands réfugiés en France. Plus tard, Hitler fait parvenir une copie de ces enregistrements à Pétain, qui les verse dans ses archives personnelles. A part l'entourage proche du chef du régime de Vichy et celui du dictateur allemand, personne n'a alors connaissance de ces enregistrements. Jusqu'à ce jour.
Contacté par franceinfo juste après avoir pris connaissance de ces documents exceptionnels, l'historien normalien François Delpla, auteur d'Hitler et Pétain, (éditions Lamartine, 2018) analyse l'envoi de cette copie au président du Conseil, comme "une menace voilée" de la part du chancelier allemand qui pourrait s'en servir pour humilier publiquement le régime de Vichy. L'historien y voit aussi une "pièce fondatrice d'une Europe allemande, avec une France dominée, afin que le chef d'Etat français en soit conscient pour des siècles et des siècles".
Le mystère des "malles Pétain"
De 1940 à 2015, ces enregistrements ont donc mystérieusement disparu sans laisser de traces. Il y a quatre ans, un collectionneur féru d'histoire, Bruno Ledoux, voit passer lors d'une vente aux enchères en Allemagne de gros disques en aluminium placés dans de grandes boîtes métalliques typiques des années 40. Ces boîtes sont frappées des inscriptions "Présidence du Conseil" et "Administration de la radiodiffusion nationale".
Intrigué, il achète ces disques pour "quelques milliers d'euros". "Les disques n'ont qu'une face gravée, raconte-t-il à franceinfo. Et c'est à ce moment-là que je me rends compte, en appelant des amis, que ce sont des disques caractéristiques de 1940."
J'ai ramené les disques chez moi, je les ai écoutés et là, j'ai entendu les voix… C'est très très impressionnant puisqu'on entend les voix, puisqu'on entend les négociations dans le wagon.Bruno Ledoux, collectionneurà franceinfo
Où ces enregistrements ont-ils été stockés pendant 75 ans ? Et par qui ? Personne ne semble en mesure d'apporter ces réponses aujourd'hui. Plusieurs pistes peuvent être avancées, comme le fait le documentaire 1940, les secrets de l'armistice. Quatre ans après l'armistice, alors que les Alliés libèrent progressivement le territoire français et s'approchent de Paris, les Allemands obligent Pétain à fuir à Sigmaringen en Allemagne. "Les autorités de Vichy savaient qu'elles allaient être enlevées", selon Xavier Aiolfi. Elles ont alors procédé en amont à un tri dans les archives du maréchal. Réparties dans plusieurs malles, elles ont été confiées à des personnes "sûres". A part le commandant de la garde personnelle de Pétain, le colonel Barré, et l'ambassadeur de Suisse d'alors, aucun autre destinataire des archives n'a été identifié.
La malle dont disposait le colonel Barré a été rapidement retrouvée dans les caves du château de Bellerive-sur-Allier, près de Vichy, par un gendarme. D'après Louis Noguères, magistrat et président de la Haute Cour de la Libération, c'était "une simple caisse, large d'1m30, haute de 40 centimètres" comme il l'explique dans son livre, La Haute Cour de la Libération, paru en 1965. Les documents et dossiers présents dans cette malle ont été utilisés lors du procès de Philippe Pétain. D'après les experts contactés par franceinfo, les enregistrements faisaient "très probablement" partie d'une autre de ces "malles Pétain", toujours enveloppées d'un épais mystère.
Il a confié ses affaires personnelles avant son départ pour la Suisse à des personnes de confiance, ce sont les fameuses 'malles Pétain'. Deux ont été retrouvées mais les autres auraient été détruites.Emmanuel Amara, réalisateur du documentaire "1940, les secrets de l'armistice"à franceinfo
Grâce à sa formation d'historien, le réalisateur a tout de suite compris l'importance de ces documents et a souhaité en faire un documentaire en deux volets. Le documentariste explique la tombée dans l'oubli des enregistrements par le fait que "les personnes [qui les ont détenus] ont pu s'imaginer qu'il s'agissait de chants ou de vieux discours dont on a les retranscriptions".
"Plus qu'un compte-rendu bête et froid"
Ces enregistrements ne révèlent pas de scoop, et ne modifient pas les connaissances déjà établies par les historiens spécialistes de la période. Les mémoires des participants et des comptes-rendus détaillés transmis par les états-majors ont permis de décrire ce moment tragique. Mais le son rend aujourd'hui concret le rapport de force qui règne alors et qui jettera les bases de la collaboration avec le régime de Vichy. Pour Bruno Ledoux, sténographes et dactylographes n'ont pas pu "rendre fidèlement" cette atmosphère : "On connaissait le contenu mais pas la psychologie. Ça peut permettre d'avoir une autre lecture de l'armistice, on voit dans quel état d'esprit il s'est déroulé."
Les inflexions dans la voix, les hésitations, les silences en disent beaucoup sur les conditions de ces négociations et sur les hommes qui y ont participé : le général Huntziger résiste un temps sur la clause obligeant la France à livrer les réfugiés et les opposants au régime nazi, avant de céder. "On s'aperçoit que ça va très très vite, on le savait déjà mais on en a la confirmation : les Allemands sont très durs dans leur manière d'agir et sont très inflexibles. Il n'y a pas beaucoup d'espace de négociation, on perçoit bien tout ce qui va se passer ensuite en France, explique Xavier Aiolfi à franceinfo. C'est quand même autre chose de l'entendre, que de lire un compte-rendu bête et froid."
"On a mis un couvercle sur tout ça"
Pour accentuer cet effet "réaliste", les bandes-sons ont été mises en images dans le documentaire : des comédiens jouent le rôle des négociateurs installés dans un wagon reconstitué. Cette mise en scène permet de comprendre que le moment de la signature est un point de bascule vers "la mise en place du système nazi et de la collaboration qui va suivre" selon le réalisateur. Ça nous fait plonger dans l’histoire et c’est tristement formidable."
Voulant protéger le secret autour de sa découverte, le collectionneur s'est tourné vers une société spécialisée dans la conservation de ce type de documents. Pour en préserver la qualité sonore, les enregistrements n'ont été lus qu'une seule fois avant d'être sauvegardés sur bandes. Et, après avoir disparu pendant 75 ans, ils seront bientôt libres d'accès. Une fois le documentaire diffusé, le collectionneur Bruno Ledoux envisage de les offrir au gouvernement français afin qu'ils soient versés aux archives nationales.
La quête de Bruno Ledoux, passionné d'histoire, n'est pas finie pour autant. En 2013, il a acquis les archives personnelles d'Hitler laissées dans son bunker à Berlin et découvertes par des officiers français. Quatre ans plus tard, ces archives ont fait, elles aussi, l'objet d'un documentaire : Les derniers secrets d'Hitler, déjà réalisé par Emmanuel Amara et diffusé sur France 5 en 2017.
Aujourd'hui, Bruno Ledoux espère faire d'autres découvertes : "Après la guerre, cette période était tellement noire que tout était enfermé dans l'abîme, on a mis un couvercle sur tout ça. De temps en temps maintenant, on peut tomber sur des documents extraordinaires comme ces enregistrements."
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