Enigma, la machine à codes automatiques
l'encodage
Comment se parler par radio quand les Allemands sont à l'écoute ? Pour assurer la sécurité des communications, il fallait surmonter un dilemme. Si les opérateurs radio intégrés aux troupes d'assaut se parlaient en clair, pour orienter l'attaque ou guider l'aviation, par exemple, il suffisait à un Allemand parlant anglais de se mettre sur la même longueur d'onde. Mais s'ils se parlaient en code, les communications s'en trouvaient fortement ralenties : il fallait à chaque fois crypter et décrypter les messages.
A ce problème classique dans les armées, les Américains ont trouvé une solution originale. Sur Utah Beach, treize Indiens comanches enrôlés dans l'US Army et formés à la radio figurèrent parmi les premiers attaquants. C'est l'un d'entre eux qui envoya le premier message, en langue comanche, à son correspondant en mer, qui le traduisit immédiatement pour le commandement : "Le Débarquement a réussi mais nous sommes au mauvais endroit."
Sécurité totale : l'armée américaine s'était assurée au préalable que personne en dehors des Etats-Unis ne comprenait la langue comanche. Comme certains termes techniques n'existaient pas dans cette langue, il fallut recourir à des métaphores. "Char d'assaut" fut traduit par "tortue de fer". Pour le mot "Hitler", les Comanches avaient trouvé une locution expressive : "le Blanc fou".
Lors de la Seconde Guerre mondiale, l'encodage (on devrait dire le chiffrage) s'automatise. Typex, Sigaba, Purple sont quelques-unes des redoutables machines à crypter inventées par les états en guerre. Celle des Allemands (Enigma) est pourtant percée à jour des 1940.
Le briseur de chiffre, l'Anglais Alan Turing a sans doute fait changer le cours de la guerre grâce à ses "bombes", les premières machines mécaniques du déchiffrement...
Alan Turing
fut un des hommes clés de l'opération. Pourtant, parce qu'il était homosexuel, il fallut attendre plus de soixante ans pour qu'on lui rende justice.
Alan Turing était sans doute le mathématicien le plus doué de sa génération. Chercheur à Cambridge, c'était un jeune homme excentrique qui était saisi par des obsessions infantiles. Il avait par exemple vu quarante fois "Blanche-Neige et les sept nains", dont il connaissait chaque plan et chaque réplique par coeur. En dépit de ses névroses, il s'était rendu célèbre dans les cercles académiques en imaginant le principe d'une machine universelle, qu'on appellerait bien plus tard un ordinateur.
Quand la guerre commença, Turing fut engagé dans une équipe bizarre, composée de mathématiciens, de germanisants, de linguistes, de spécialistes des codes et d'amateurs de mots croisés. Réunie dans des huttes en tôle élevées dans le parc du manoir de Bletchley non loin de Londres, elle avait pour but de décrypter les communications secrètes de la Wehrmacht. Ces messages radio étaient cryptés par un appareil compliqué appelé Enigma, une sorte de machine à écrire à laquelle on avait ajouté trois rouleaux de métal qui tournaient dès qu'on tapait une lettre. Ces trois rotors garantissaient le secret : grâce à la rotation automatique, les lettres n'étaient jamais codées de la même manière, ce qui rendait les messages indéchiffrables par les crypto-analystes.
La machine allemande Enigma cryptait les messages radio. Son code a été découvert par Alan Turing. (DR)
La machine recelait une faille, et c'est là qu'Alan Turing entra en jeu. Les services secrets britanniques avaient réussi à se procurer un exemplaire d'Enigma, ainsi que plusieurs manuels de codage saisis dans des bateaux ou sur des sous-marins coulés par la Navy. Les crypto-analystes détectèrent quelques régularités dans le codage des messages et comprirent qu'en mettant en oeuvre le principe de Turing, et donc en construisant grâce à lui l'un des premiers ordinateurs de l'histoire, capable de tester des milliers de combinaisons en quelques minutes, on pouvait déchiffrer en temps réel des messages qu'on aurait normalement mis des semaines à comprendre.
Dès 1940, les équipes de Bletchley Park furent en mesure de transmettre chaque jour à Churchill le texte en clair des communications allemandes les plus confidentielles. Turing et ses crypto-analystes apportèrent une aide décisive à la victoire dans plusieurs batailles, notamment celle d'ElAlamein et celle de l'Atlantique. Ils firent arrêter tous les espions envoyés en Grande-Bretagne par les nazis. Pendant la préparation d'Overlord, ils surveillèrent jour après jour les efForts de défense déployés par la Wehrmacht. Grâce à eux, enfIn, les Britanniques purent vérifIer la bonne marche de l'opération Fortitude, destinée à tromper Hitler sur le lieu et la date du Débarquement. Turing avait donné à Churchill l'un de ses atouts maîtres.
Son aventure se termina en tragédie. Turing était homosexuel dans une Grande-Bretagne où les relations intimes entre personnes du même sexe étaient réprimées par la loi. La paix revenue, sa maison fut un jour cambriolée, et la police vint enquêter chez lui. Elle constata qu'il avait des relations avec un homme. Il fut arrêté, jugé et condamné à subir un traitement médical à base d'œstrogènes. Cette médication forcée aggrava ses névroses. Martyrisé par le pays qu'il avait contribué à sauver, il devint dépressif. Un jour, il prit une pomme et, comme l'avait fait la sorcière de Blanche-Neige, l'enduisit de poison. Puis il la croqua.
Sa mort passa inaperçue. Il fallut attendre soixante ans pour que la reine consente à le gracier à titre posthume et que le gouvernement britannique, par la voix du Premier ministre Gordon Brown, reconnaisse sa dette envers lui.
Hélas, les briseurs de codes, travaillant dans le secret mais participant activement à la victoire de leur pays, ne sont pas fêtés en héros comme les soldats.
Alan Turing - Enigma, ordinateur et pomme empoisonnée - LPPV.05 - e-penser
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