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Seconde guerre, Soldats  Résistance Française, et les autres conflits les hommes de l'ombre

Éliane Berthomé

 

  Texte pour ecartement lateral

Éliane Berthomé

Texte pour ecartement lateral 

Quimper 29000 

Finistère

Nom de naissance: Ronël
Nom d'épouse: Berthomé
Date de naissance: 21/02/1921 (Quimper) 
Date de décès: 17/05/2002
  Arrestations: 07/10/1943
Age de l'arrestation : 23
Date et lieu de la déportation :17/03/1944 
Nom du camp : Ravensbrück
Date du retour de camp : 23/04/1945
  Profession: Modiste
Qualité: Résistante trotskiste

 

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Répétons-le inlassablement, les droits de l’homme, la liberté, ne sont jamais définitivement acquis. Aujourd’hui, plus que jamais, nous devons être vigilants pour sauvegarder les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité qui sont les piliers de notre démocratie.”
Henri Berthomé

Je considère comme le devoir de tout citoyen, de toute citoyenne digne de ce nom, que de lutter contre l’injustice, contre les atteintes aux droits de l’homme, dans quelques pays que ce soit, dans quelques parties du monde que ce soit“.
Éliane Berthomé

Rue du Chapeau-rouge, à Quimper, une petite boutique de modiste tenue par Madame Marie-Annick Ronël-Carnot et sa fille, Éliane ; les Ronël demeurent rue Pen-ar-Steir. Monsieur Louis Ronël est contrôleur des contributions, le père de celui-ci, Louis, est ouvrier typographe (ils sont abonnés à la Bibliothèque municipale).

Les Ronël sont socialistes et libres penseurs, leur fille Éliane (Marcelle, sa sœur aînée, a épousé un instituteur, Jean-François Hamon qui ne cache pas ses sympathies pour le Parti communiste) adhère, dès 1938, aux Auberges de Jeunesse.

En août 1939, à 18 ans Éliane (elle est née le 21 février 1921), mettant à profit ses jours de congés payés, se rend en tant qu’Ajiste en Allemagne, qu’elle visite en vélo, et découvre un pays sous la botte nazie ; elle est choquée par le salut hitlérien, par cette jeunesse en uniforme, embrigadée…

Éliane participe, mais elle se sent isolée, à plusieurs manifestations à Quimper et à Concarneau, celles-ci étant "animées", raconte-telle, par Pierre Guéguen alors maire communiste de cette ville portuaire, en rupture de ban après les accords Molotov-Ribbentrop (pacte germano-soviétique, 23 août 1939), proche des trotskistes.

Toujours isolée, au cours de l’année 1940, elle rédige et compose, sur une petite imprimante offerte par son grand-père Ronël des "papillons" antifascistes qu’elle colle sur les affiches de propagande nazie, sur les vitrines de magasins. Les troupes allemandes sont entrées dans Brest le 19 juin au soir, dans Quimper le 20 juin. Des "avis à la population" sont placardés : "[...] dès à présent, l’heure allemande est en vigueur. Les montres seront en conséquence avancées d’une heure."

La résistance s’organise

1941-1943. La petite boutique, à l’enseigne "Éliane", et le domicile familial des Ronël deviennent une véritable "plaque tournante" de la Résistance trotskiste dans le Finistère.

Alors qu’Éliane adhère, dès 1938, aux Auberges de jeunesse, elle rencontre des Ajistes militants trotskistes, André Calvès, Gérard Trévien, Marguerite Métayer ; celle-ci l’encourage à s’engager dans la vie clandestine des Résistants. Au début de l’année 1941, elle entre dans l’organisation, elle participe alors à la distribution de tracts et de La Vérité clandestine, organe de propagande des Comités français de la IVe Internationale (créé le 30.08.1940), elle organise des réunions clandestines du "Parti" sous couvert des activités des AJ, reçoit chez ses parents, rue Pen-ar-steir, Yvan Craipeau créateur avec Fred Zeller des Jeunesses Socialistes Révolutionnaires-JSR, membre du Parti Ouvrier Internationaliste-POl (créé en 1938).

Sous couvert d’activités professionnelles, elle effectue aussi plusieurs voyages à Paris ("souvent") pour prendre ("ramasser") le "matériel" (La Vérité, tracts) ventilé puis distribué sur Quimper et Brest. A Paris les rendez-vous sont donnés à l’hôtel Lhomond où elle rencontre des "camarades inconnus" d’elle.

A la mi-septembre 1942, rue Lhomond, elle rencontre ainsi Henri Berthomé lui-même venu chercher, pour Nantes, du "matériel". Henri, qui demeure à Rezé avec sa famille (père cheminot, mère femme au foyer), milite depuis l’âge de 16 ans (il est né le 9 juillet 1923) ; il milite, ainsi que sa sœur aînée, Jeanine, à la section des Jeunesses socialistes animée par leur frère Georges, secrétaire fédéral.

"La décision de non-intervention en Espagne nous avait convaincus, et annonçait d’autres renoncements." dira plus tard Henri Berthomé. Ainsi, à l’arrivée des Allemands à Nantes (18 juin 1940), la section de Rezé a déjà gagné la clandestinité, et le vote des pleins pouvoirs à Pétain (10 juillet 1940) convainc les deux frères d’adhérer à la IVe Internationale.

Henri, muni d’un CAP d’ajusteur, travaille aux chantiers navals Dubigeon ; en mai-juin Nantes est touchée par plusieurs bombardements, Henri prend alors part à l’évacuation et aux premiers secours aux victimes, avec son frère et sa sœur il distribue des tracts et de nuit colle des affiches. En octobre 1942, devant la réquisition d’ouvriers français pour le travail forcé en Allemagne, les usines et chantiers navals de Nantes débrayent. "[...] j’ai personnellement incité au débrayage avec d’autres camarades des chantiers Dubigeon" note Henri, en marge de l’ouvrage d’Yvan Craipeau1.

Au moment de leur première rencontre rue Lhomond, à Henri et Éliane, celle-ci écrit : "Je revenais [...] d’un stage organisé par les camarades de la route en zone sud, à Mollans près d’Orange. L’organisation et l’animation de ce stage étaient menées par des camarades du parti, principalement Henric et Marc Paillet avec lesquelles j’ai eu des discussions politiques [...]. Henric était chargé de la formation politique pour notre groupe au cours des matinées de notre stage". En octobre 1941, les Auberges Françaises de la Jeunesse-AFJ et les Camarades de la route-CDR (mouvement d’usagers qui rassemble des groupes ajistes) ont ouvert, après Uriage, une école de formation à Mollans. L’activité des CDR commence en août 1941 ; ils se donnent pour objectif la formation des responsables. Sans doute sélectionnée, Éliane, également membre des CDR, est donc appelée à jouer un rôle déterminant dans le mouvement, mais on devine aussi l’orientation politique donnée à la formation de militants déjà engagés ou qui s’engageraient dans la Résistance.

Quimper, séjourne chez ses parents, fin 1942-début 1943, Jean-René Chauvin, membre du POI, lié à Yvan Craipeau ; Chauvin a participé, à Bordeaux, en pleine mobilisation, à la rédaction et à la diffusion d’un tract contre la guerre, dénonçant aussi le Stalinisme comme ennemi mortel du communisme.

Fin mars 1943, arrivent à Quimper, chez les Ronël, qui les hébergent avant qu’ils ne partent pour Brest, cinq Nantais dont Robert Cruau, postier de 23 ans, il parle allemand, et les frères Henri et Georges Berthomé. "Quelques uns de ces camarades sont réfractaires au départ pour le STO. Tous ont besoin d’une fausse carte d’identité pour mener leur activité clandestine [...] Nous envisageons en commun et discutons des formes appropriées d’activités pour la région bretonne et particulièrement le travail allemand." Dès lors, le groupe se réunit régulièrement le dimanche rue Pen-ar-Steir. "Les réunions régionales groupant 6 à 8 camarades se tiennent le dimanche chez moi". On y retrouve donc, entre autres, Marguerite Métayer, et les Brestois, Robert Cruau, Georges et Henri Berthomé, Yves Bodénés (Huon), l’un des responsables finistériens du POI.

Les 15 et 16 août 1943, se tient à Daoulas (dans l’une de ses notes Éliane parle non plus de Daoulas mais du Faou) un rassemblement d’une vingtaine de militants auxquels s’est joint Yvan Craipeau. "Le travail était organisé en commissions. Et suivi de discussions communes à toutes les commissions. Au cours de l’une de ces journées nous avons travaillé par équipe de 2. Alice Bourhis a rappelé qu’elle était avec Henri Berthomé [...]. Robert Cruau et moi-même traitions du travail allemand."

Le 5 octobre 1943, se réunissent chez Éliane, plusieurs membres du groupe ; se joignent à eux Marguerite Métayer ainsi que Marcel Baufrère, alias "Marceau" ou "Liber", Odette sa compagne, qui arrive de Paris avec du "matériel", La Vérité et des tracts allemands, ce "matériel" dont va se saisir, deux jours plus tard, la Gestapo. A l’ordre du jour de cette réunion figure, une fois de plus, la réorganisation du parti dans la région, la réorganisation du travail dans les AJ, et le "travail allemand".

Le "travail allemand"

Le "travail allemand" s’est essentiellement développé à Brest avec le Nantais Robert Cruau qui garde un avantage sur ses camarades, il parle allemand et, de ce fait, peut participer à la rédaction au côté de soldats de la Wehrmacht de tracts et de journaux diffusés auprès des troupes d’occupation tel que le Zeitung für Arbeiter und Soldat im Westen (Journal du soldat-travailleur [sur le front] de l’ouest), tiré à 150 exemplaires. La ronéo est cachée chez André Calvès qui se charge de taper les tracts. "Les articles se terminaient par des appels : « Ne vous faites pas les chiens de garde du capitalisme et du nazisme. Aidez les jeunes travailleurs français à lutter contre les déportations »" (André Calvès, notes)

Le "travail allemand" repose donc essentiellement sur la propagande anti fasciste, anti nazie en direction des soldats des forces d’occupation dans la région brestoise, soldats dont beaucoup sont originaires de Hambourg autre ville portuaire, connue pour son mouvement ouvrier. "Sous chaque uniforme peut se cacher un ouvrier" (Rosa Luxembourg). Plutôt que par l’action armée directe, il s’agit ainsi, par la propagande, en allemand, de gagner à la cause révolutionnaire des prolétaires allemands, des "travailleurs allemands sous l’uniforme", engagés par un régime fasciste dans cette guerre. "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !"

Cette action de résistance, ses objectifs, les moyens à mettre en œuvre, ont souvent été discutée lors des réunions du groupe tant à Quimper que lors du rassemblement de Daoulas (Le Faou ?) à la mi- août 1943.

Le groupe est composé de trotskistes. Ils lisent La Vérité qu’ils diffusent. Ils ont dès octobre 1941 diffusé des tracts ronéotypés et quelques journaux Front ouvrierLe bulletin ouvrier et paysanLa Bretagne Rouge. En octobre 1942, alors que l’autorité allemande décide d’expédier sept cents ouvriers de l’Arsenal de Brest à Hambourg, ils rédigent un tract dont un millier distribué dans des boîtes aux lettres; ils dénoncent, dans ce tract, les déportations d’ouvriers et lance un appel à s’organiser. Les tracts peuvent être remis en main propre aux soldats, ou jetés par-dessus le mur des casernes ou bien encore du haut des balcons des salles de cinéma… En juillet 1943, paraît Arbeiter und Soldat (Travailleur et soldat/Travailleur-soldat) rédigé à Paris dans une imprimerie clandestine du POI, que le groupe brestois diffuse à 150 exemplaires. "Il faut tout de même souligner que si des copains de Paris publièrent le journal clandestin Arbeiter und Soldat; si des militants de divers points de France agirent pour que ce journal parvienne à des soldats allemands, c’est seulement à Brest qu’il y eut un début d’organisation préparée par de jeunes militants. Tout le mérite en revient au camarade Robert Cruau" rappelle dans ses souvenirs André Calvès2.

"A (ma) connaissance au moment des arrestations de Brest des copains du travail allemand on a compté au plus une quinzaine de soldats allemands [...]" annote Henri Berthomé en marge du chapitre "Le travail des trotskistes dans l’armée allemande" consacré par Craipeau dans son ouvrage sur Les révolutionnaires pendant la deuxième guerre mondiale3. Dans ses souvenirs, André Calvès pensent pouvoir préciser que "Au début de septembre 1943 nous avions 27 soldats dans l’organisation [...]."

L’un de ces Allemands, Heinz, appartient à l’organisation TODT, il se sert alors du cachet de cette organisation pour truquer les cartes de travail des réfractaires au STO. Un autre soldat, de la DCA, Konrad Leplow rejoint le groupe.

Outre cette action, le groupe aurait transmis, semble-t-il à Londres des renseignements concernant, entre autres, la base sous-marine. Par ailleurs, peut-on établir un rapport entre l’action du groupe trotskiste en direction des soldats allemands et la mutinerie de l’équipage d’un sous-marin survenue en septembre 1943 ; les mutins qui ont refusé de prendre la mer, furent d’ailleurs enfermés à la prison Saint-Charles à Quimper ?

Une sympathisante trotskiste arrêtée, interrogée à Rennes, puis libérée au bout de trois mois, rapporte ce propos d’un officier de la Gestapo : "Faire de la propagande à des soldats allemands est le plus grand crime !" (André Calvès).

Actions / exécutions

Jeudi 7 octobre 1943, les soviétiques lancent leur grande offensive sur le Dniepr, Pétain est à VichyLaval est chef du gouvernement et la Gestapo française torture rue Lauriston. DrancyRambouilletRomainville battent leur plein, véritables "camps de transit" pour les camps en Allemagne, en Pologne, en Autriche…

A l’automne 1943, les mesures de répression se multiplient ainsi que les déportations en masse, elles coïncident avec un accroissement de l’action des groupes de résistance et, bien souvent, avec leurs chutes et démantèlements par les services policiers allemands

Brest, mercredi 6 octobre, Yves Bodénès, alias "Huon", 22 ans, électricien travaillant à l’Arsenal, est arrêté.

Jeudi 7 octobre, un nouveau convoi de Juifs de France quitte la gare de Bobigny pour Auschwitz. Une partie des déportés est gazée dès l’arrivée.

Jeudi 7 octobre, Quimper, en fin de matinée, vers 11 heures, un soldat de la Wehrmacht s’est présenté au magasin se recommandant de "Max", Robert Cruau, et de "Ned", André Calvès, deux camarades du groupe de résistants trotskistes de BrestÉliane Ronël lui a laissé quelques tracts et journaux, "matériel" que deux jours auparavant Odette Baufrère lui a porté de Paris ; peu de temps après, Fred Rospars, 17 ans, un autre camarade, élève à l’Ecole normale d’instituteurs, est passé prendre d’autres tracts qu’il distribuerait au lycée et à l’E.N. Il est vrai, que le mardi précédent, rue Pen-ar- Steir, on avait discuté de la réorganisation du Parti dans la région, des actions à conduire dans les AJ, de l’extension à Quimper du "travail allemand".

Jeudi 7 octobre, Quimper, il est 15 heures, environ, une voiture s’arrête devant la boutique des Ronël, rue du Chapeau-rouge. Éliane sert des clientes. Deux hommes entrent, l’un est en uniforme. Éliane leur demande ce qu’ils désirent, ils lui répondent qu’ils peuvent attendre, elle continue alors à servir ses clientes; l’homme en civil est ressorti puis interpelle les femmes qui montrent alors le contenu de leurs sacs à chapeaux, il revient dans le magasin, il lui demande, brusquement, "Le matériel !" ; Éliane est étonnée : "Le matériel ? Je ne comprends pas…" Les deux Allemands fouillent le magasin, montent aux étages et reviennent des tracts et des journaux en allemand à la main, mais aussi La Vérité. "D’où viennent-ils ?" Éliane leur dit en ignorer la provenance, les avoir reçus par la poste et ne pas connaître l’expéditeur.

A 16 heures, Éliane, est conduite à la prison Saint-Charles, à Kerfeunteun, le Mesgloaguen ne disposant plus de cellule d’isolement.

Brest, jeudi 7 octobre, cour de l’école Notre-Dame de Bonne nouvelle, siège de la Gestapo, Max, 23 ans, feignant une évasion, est abattu par la Feldgendarmerie

Brest, jeudi 7 : arrestation d’Albert Goavec, 21 ans, d’André Le Floc’h, 20 ans.  Tous, des camarades d’Éliane, membres du groupe de résistance trotskistes de Brest conduit par Yves Bodénès et Robert Cruau.

Le 11 octobre Éliane quitte Quimper pour Rennes où elle est internée à la prison Jacques Cartier, interrogée et battue par la Gestapo. On tait la torture on ne la dit pas.

Nantes, mercredi 20 octobre, arrestation d’Henri Berthomé, 20 ans, ajusteur à l’arsenal de Brest. Yves Bodénès fut déporté à Dora, et ne revint pas Georges Berthomé fut déporté à Dora et ne revint pas. Albert Goavec et André Le Floc’h moururent en déportation. 

Dans le même temps la Gestapo frappe à Paris. Egalement arrêtés, Gérard Trévien, 23 ans, ouvrier tôlier à l’Arsenal, André Darley, 23 ans, photographe, Anne Kervella, Marcel Baufrère, 29 ans, manœuvre postier; ils furent tous déportés. Déporté à Buchenwald, Marcel Baufrère y participa à la création d’une cellule trotskiste.

André Calvès, 23 ans, marin puis pointeau dans une tréfilerie, alors en Belgique, échappe à la rafle ainsi que Marguerite Métayer, en mission à Paris, arrêtée un an plus tard, à 36 ans, puis déportée à Ravensbrück.

Henri Berthomé, après avoir connu Buchenwald, fut déporté à Dora, l’Enfer de Dora, où les Nazis construisaient les V2.

Ils avaient tous été dénoncés par le soldat allemand, Konrad Leplow, soldat qu’ils avaient rallié, "le travail allemand", à la cause qu’ils défendaient, mais qui, semble-t-il, aurait été retourné par la Gestapo, à moins que celle-ci ne l’ait infiltré dans le groupe.

Une quinzaine de soldats allemands furent aussi arrêtés et "sommairement fusillés peu de temps après" note Henri Berthomé en marge de l’ouvrage d’Yvan Craipeau, contredisant d’ailleurs ce dernier.

Le groupe de résistants trotskistes de Brest n’existe plus.

Au cours de l’année 1943, la plupart des membres du POI sont arrêtés.

De la prison Jacques Cartier, à RennesÉliane fait passer plusieurs messages à ses parents. Elle les rassure, sa principale préoccupation, quant à sa santé et son moral, elle donne des nouvelles de ses camarades de cellules (de nombreux ajistes, une quarantaine, mais aussi un notaire, un médecin, une jeune fille de seize ans, une vieille dame…), elle demande qu’on lui fasse parvenir des effets personnels "des journaux français (c’est permis)", précise-t-elle et ajoute Méthode Assimil, l’Allemande (elle est meilleure que l’autre, mais si vous ne la trouvez pas ça ne fait rien). Livres, ce n’est pas la peine de m’en acheter d’autres. J’ai beaucoup aimé Goethe [...] Donnez moi beaucoup de nouvelles politiques -des faits précis. Pour quand peut-on raisonnablement envisager du nouveau… Surtout ne vous en faites pas pour moi car je vous assure que je suis on ne peut mieux à tous points de vue [...]. Mon état d’esprit aussi est le même que lorsque je vous ai quitté. Mes idées sont confirmées une fois de plus ici. Les journées sont trop courtes et passent avec une telle rapidité ! Mais chaque jour qui passe nous rapproche du beau temps, de ces journées lumineuses aux longues soirées. "Ô grand soir, plein d’espoir." Elle précise dans cette même lettre "Le livre Les fleurs du mal est superbe. Il m’a causé un grand plaisir." (Rennes, 1-2 décembre 1943)

22 janvier 1944, Georges et Henri Berthomé, immatriculés respectivement 42401 et 42421, quittent Compiègne pour Buchenwald.

Éliane quitte, le 10 ou le 11 mars 1944, Rennes pour Compiègne puis Romainville. Le départ pour l’Allemagne a lieu le 17. Un billet jeté du train, et qui parviendra à sa mère (transmettre S.V.P. à : Madame Ronël 5 rue du Chapeau Rouge (Finistère) Quimper :
"Mes parents chéris, le voyage continue. Nous sommes en ce moment à Vitry-le-François. Je crois cette fois que nous allons directement sur l’Allemagne. Peut-être à Sarrebruck. Si vous ne recevez pas de mes nouvelles adressez-vous à la Croix rouge. Nous sommes environ 430 femmes. Le long du trajet j’agite l’extrémité de mon foulard de laine… et les gens répondent [.... Je suis en pleine forme. D'ailleurs vous savez que je m'adapte à toutes les situations. Je serai donc bien partout. Je vous assure que c'est amusant et que c'est une occasion unique pour étudier tous les milieux [...]."

Marcelle Hamon à sa sœur Éliane toujours en Suède, le 23 juin 1945 :
"[...] Les 2 mots que tu avais griffonnés dans le train en partance pour l’Allemagne nous étaient parvenus : l’un fut porté par une personne qui l’avait trouvé sur la voie ferrée, l’autre fut remis à maman par un inconnu, il n’a jamais été posté. Il existait chez les employés de gare une filière merveilleuse. Il se transmettait ainsi de l’un à l’autre les lettres des déportés jusqu’à ce qu’elles arrivent à destination. Ils étaient ainsi sûrs qu’elles ne soient pas arrêtées en route par la censure."

Éliane, elle a vingt trois ans, est déportée sous le matricule 35461 ; elle arrive le 22 avril 1944 à Ravensbrück depuis Romainville trente six jours se sont passés. Elle quitte Ravensbrück le 7 juillet pour Watenstedt, son Kommando étant affecté aux usines d’armement. Transférée le 23 avril 1945, de Ravensbrück en Suède par la Croix Rouge suédoise, elle écrit à ses parents : "En transport, à Watensdet, j’ai rencontré, un jour que je travaillais dehors, un jeune homme de Quimper, Georges Le Bail (il habite, je crois rue du Palais de Justice) il était de la même affaire que la famille Le Guennec. C’était en février [1945]" (Lettre du 26 juin). Henri Le Guennec était responsable quimpérois du mouvement Vengeance, il fut arrêté, ainsi que plusieurs membre de sa famille, le 20 janvier 1944 ; il meurt à Neuengamme. Georges Le Bail, fils d’Albert Le Bail, député ayant refusé de voter les pleins pouvoirs à Pétain, était agent de liaison du réseau de renseignement Georges France puis Vengeance, il fut arrêté en février 1944, et arriva en juillet au camp de Neuengamme puis participa au Kommando Watenstedt dès août. Il fut libéré de Ravensbrück par l’Armée rouge en avril 1945.

Notes d’Éliane : "Dans les camps. Solidarité. Résistance. Essayer de travailler le plus lentement possible aux machines, quelques tours supplémentaires aux obus, contrôle : laisser passer des obus qui ne correspondent pas à la norme."

Ce furent des hommes et des femmes ordinaires qui construisirent les camps de la mort. Certains y sont morts parce qu’ils étaient tout simplement différents des autres, d’autres y moururent parce qu’ils avaient tout simplement dit non à l’indifférence.

Pour les survivants : ils ne furent pas, après guerre, tous reconnus du fait de leur choix idéologique, du fait de la forme qu’ils avaient donnée à leur combat. Éliane et Henri, dans un premier temps ne furent pas, parce que trotskistes, reconnus en tant que Résistants, ils ne le seront qu’une fois inscrits, pour elle, au réseau de renseignement militaire CND-Castille du colonel Rémy fondé en septembre 1940, et placé par ses fondateurs sous la protection de la Vierge, pour lui, au réseau Cohors-Asturies (l’un et l’autre rattachés au BCRA-Bureau Central de Renseignement et d’Action créé à Londres sous l’autorité du général De Gaulle ).

De retour à Quimper : Éliane et Henri Berthomé  - Fin de l’Odyssée

Le 23 avril, Éliane Ronël quitte Ravensvrück pour la Suède dans un convoi de la Croix rouge suédoise.

Le 29 avril, le cauchemar à Dora se termine pour Henri Berthomé, il est enfin libre. Il fut de retour dans sa famille à Rezédeux mois après sa libération ayant été hospitalisé en Belgique pour une pleurésie contractée à Dora et "soignée" quinze jours durant au Revier du camp.

Son frère, Georges, ne revint pas de déportation ; il avait été transféré à Halberstadt, camp où était décentralisé une partie de la production de Dora ; quelques jours avant la libération de ce camp par l’Armée rouge il s’évada avec deux copains. Ceux-ci écrivirent de retour en France aux parents Berthomé pour prendre de ses nouvelles, mais nul ne savait ce qu’il était devenu… Il ne revint pas.

Le 21 mai, Marcelle Hamon, la sœur d’Éliane :
"Ta carte du 27/4/45 (postée en Suède) est venue nous tranquilliser tout à fait : tu vis et tu es en bonne santé. Ta joie exprime une intense joie de vivre, de revivre comme tu le dis."

Le 23 juin 1945, Éliane est toujours en Suède. Sa sœur Marcelle lui donne des nouvelles de la famille, les noms de nombreux quimpérois déportés, du "massacre du Stangala", des "petits mots" d’Éliane à ses parents parlant de son internement à Rennes puis sa déportation en Allemagne, et fait allusion à son prochain retour à Quimper : "Tu en auras une tragique Odyssée à nous raconter."

Henri Berthomé, notant sa "conclusion personnelle (au) livre Contre vents et marées", laisse paraître une grande amertume "[...] pour n’avoir en définitive pas cessé d’analyser et de contre analyser au lieu de concrétiser, la jeune 4eme Internationale n’a pu porter les espoirs qu’avaient mis en elle les militants révolutionnaires fusillés ou morts en camp de concentration, ou rentrés de ceux-ci physiquement diminués et moralement désabusés. Quant à la classe ouvrière française et internationale au nom de laquelle et pour laquelle tout cela était sensé se faire, elle laisse l’impression pénible de n’avoir jamais perçu les échos."

Toutefois, malgré cela, Éliane et Henri Berthomé (ils se marièrent le 26 juillet 1947), ne "désarmèrent" nullement et poursuivirent, inlassablement, jusqu’aux derniers instants, sur tous les fronts leur lutte pacifique mais active pour la défense des Droits de l’Homme ; ils s’engagèrent dans l’action militante, cet engagement se retrouve aussi, non seulement sur le terrain des manifestations, mais dans leur bibliothèque, cette bibliothèque qu’ils nous ont laissée.

Éliane nous a consigné quelques notes où elle résume son engagement, leur engagement : "Résister ne devrait pas être un choix, c’est un devoir. C’est une dette que nous avons envers tous ceux qui ont lutté pour conquérir leur liberté. La Révolution de 1789. Tout a toujours été conquis par des luttes. Ce qu’on peut ressentir : la satisfaction de ne pas se sentir lâche, d’être solidaire – à son échelle – de tous ceux qui luttent. Conséquence : pas de regret de ma déportation : expérience enrichissante qui m’a démontré — si besoin était – combien j’avais eu raison de m’engager – expérience qui a renforcé ce que je considère comme un devoir de plus en plus citoyen, de tout(e) citoyenne digne de ce nom, de lutter contre l’injustice, contre l’atteinte aux droits de l’homme dans quelque pays que ce soit, dans quelque partie du monde que ce soit."

Conférence, donnée à la médiathèque de Quimper par Erwan Le Bris du Rest, est centrée sur la lutte contre le nazisme menée par Éliane et Henri Berthomé (et leurs camarades trotskistes), ainsi que sur leur déportation. Publié avec l'aimable autorisation d'Erwan Le Bris du Rest.

22/07/2014
Auteur : Erwan Le Bris du Res Lien : CHSPROD

[Compléter l'article]

 

Eliane Berthomé : « Elle était de tous les combats »

Eliane Berthomé est décé­dée le 17 mai dernier à l’âge de 81 ans. Résistante et déportée, elle a milité jusqu’au bout, occupant la présidence du comité Bosnie-Kosovo après le décès de son mari, Henri, décédé en février 1999.

Ce week-end ses amis lui ont ren­du hommage. "Je considère comme le devoir de tout citoyen, de toute citoyenne digne de ce nom, de lutter contre l’injustice, contre l’atteinte aux droits de l’homme dans quelque pays que ce soit, dans quelque partie du monde que ce soit", avait écrit récemment Eliane Ber­thomé.

Eliane Ronel, de son nom de jeu­ne fille, était née dans une famille de chapeliers quimpérois. "A 18 ans, elle commence à lutter seule, elle écrit des petits papiers antinazis qu’elle colle sur les murs", dit Denise Herlédan. Fin 1940, elle entre en Résistance aux côtés de Brestois et adhère à la 4e internationale.

Arrêtée en 1943

En mars 1943, le groupe s’étoffe de militants nantais du Parti Ouvrier Internationaliste dont Hen­ri Berthomé qui deviendra son époux.

En octobre de cette même année, une vingtaine d’entre eux sont arrêtés sur dénonciation. Empri­sonnée à Quimper, puis à Rennes, à Romainville, elle sera déportée à Ravensbrück puis évacuée par les nazis vers le camp de Wattenstadt.

En 1945, elle sera libérée par la Croix-Rouge suédoise. Un an plus tard elle revient en France et épou­se Henri. "Je n’ai pas de regret de ma déportation, ce fut une expérience enrichissante qui m’a démontré combien j’avais eu raison de m’engager", a-t-elle écrit.

"Le goût de la lutte ne les quittera pas : opposition à la guerre d’Indochine, d’Algérie, soutien aux luttes anticolonialistes, adhésion à la nouvelle gauche puis au PSU, soutien au LIP, au Joint Français, dénonciation du totalitarisme en URSS, en Chine", note Anne-Claire Dellet.

Ce sera aussi le comité Bosnie-Kosovo à partir de 1992. "Toujours au fait de l’actualité, lectrice insatiable, Eliane relayait les actions d’Amnesty, de MSF, de Greenpeace, s’inquiétait de l’Algérie, de l’Afghanistan, des Tchétchènes, du sort des Palestiniens".

Générosité extrême. Lors de l’élection présidentielle, Eliane Berthomé avait appelé à voter contre l’extrême droite dans un appel de la FNDIRP. Elle avait aussi accepté d’être la présidente d’honneur du comité de soutien à Daniel Le Bigot, candidat aux législatives.

La veille de son décès, elle s’était rendue à Etel rencontrer deux anciennes déportées. « Elle en était revenue heureuse », disent ses amis. "Elle était d’une générosité extrême  chez elle c’était toujours table ouverte, quand on était un peu las c’est elle qui nous entraînait, elle avait un humour extraordinaire  Jusqu’au bout elle est restée attentive aux désordres du monde".

 

Sources AJPN http://www.ajpn.org/personne-eliane-Berthome-8922.html

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